La petite photo dans le portefeuille
La petite photo dans le portefeuille.
C’est une vieille photo, parfois très vieille photo que l’on retrouve au fond de son portefeuille.
Ce n’est pas une photo oubliée, non, on le sait qu’elle est là, et c’est important qu’elle y soit. C’est souvent un petit format, une photo entière d’une époque lointaine, tirée sur papier glacé, parfois même en planche contacte. Il y a une dentelure sur tout le pourtour, séparée du cliché par un petit liséré blanc. Les coins sont bien souvent absents, disparus depuis longtemps au fil des présentations à la famille, aux amis.
Elle peut être en couleur, ou noir et blanc, voire en sépia ; mais l’aspect ne trompe pas, ancien oui. Les années se comptent par dizaines. Les couleurs sont d’un autre temps, les sujets plus ou moins bien cadrés, plus on moins bien exposés, en portrait ou en pied, seul ou en groupe ; ce n’est pas une photo artistique au sens professionnel.
Les mimiques peuvent êtres rieuses, enjouées, ou au contraire, figées, attentives, sérieuses. << Attention, le petit oiseau va sortir ! >>. Il ne fallait surtout pas la rater, impossible à visualiser immédiatement. Deux trois semaines d’attente, parfois plus si la pellicule n’était pas finie, le moment ne se représentera pas, pas dans les mêmes conditions en tous cas.
Cette photo de famille, (car le sujet est intangible), est toujours plus ou moins rayée, pliée, écornée, craquelée, elle a fait tant de poches et de kilomètres.
Qu’a-t-elle donc de particulier pour suivre son propriétaire ? Elle est soi-même, mais il y a si longtemps. Elle est soi-même par les traits partagés des parents, grands-parents, des frères et sœurs. Elle est la famille, les racines, comme ces arbres, qui auront, quoi qu’il arrive, toujours un peu de leur terre originelle collée au pied.
Cette image est unique, pas forcément dans sa forme, elle peut avoir été dupliquée ; mais elle est unique par les souvenirs, obligatoirement personnels, qu’elle ranime à chaque fois.
Moments heureux le plus souvent, les photos de fêtes, de rites religieux ou laïcs, de voyages, de moments partagés, ne serait-ce qu’entre le photographe et le photographié.
En dehors de la famille, c’est un ami, une amie, devenu mari ou femme ; photo transcendée par l’affect, photo à qui l’on a même confié ses secrets. Il n’y a pas de limites au pouvoir des images.
Cette photo, posera un jour à la descendance bien des questions, parfois sans réponse ; sauf si une petite annotation au dos, sauvera l’histoire par une date, un nom, un lieu, relançant à nouveau les vieux débats, << Tu as sa bouche, ses yeux,… tu ne trouves pas ? … etc. etc. ! >>
Devenant alors une sorte d’icône, et grâce à la technologie moderne, de scanner et logiciel, elle repartira au grand jour, sans le risque d’un jaunissement solaire, propice à l’effacement, à l’oubli !
Ce sera comme une pièce à conviction, d’une vie passée, une trace temporelle si particulière, de nos ancêtres connus ou anonymes.
Un simple déclic, un petit oiseau qui est sorti, mais qui, l’espace d’une micro seconde, a figé le temps ; et qui, comme les fossiles, témoigne des vies qui ont précédé la nôtre. Ce temps qui nous glisse inéluctablement entre les mains, suspendu par la machine à voyager dans celui-ci, qu’est l’appareil photo.
Finalement bien plus grande que son portefeuille, la petite photo sommeille pour nous rappeler d’où l’on vient et que le passé a construit notre présent !
Sergio